Plus près des étoiles…

Idylle Américaine (Iris Hellen)

Le 1er avril prochain, Harlequin publie un volume double intitulé Idylle Américaine, qui rassemble mon roman Dis-moi que tu m’aimes ainsi que Passion à Hollywood de ma consœur et amie Natacha J. Collins.

Dans Dis-moi que tu m’aimes, il y a une très belle scène dans laquelle Jason apprend à mieux connaître Phoebe, sous le ciel étoilé du Mississippi. Je vous l’offre ici, en guise d’amuse-bouche et pour vous faire patienter jusqu’au 1er avril prochain 😉

D’un geste nerveux, j’ai ouvert la porte et je me suis effacé pour laisser entrer Phoebe. Elle a fait quelques pas, puis s’est retournée pour me faire face. Lentement, j’ai refermé derrière moi, et nous nous sommes dévisagés pendant un long moment. Elle a été la première à rompre le silence, après avoir jeté un regard circulaire à la pièce.

– Alors, c’est ici que tu habites ?

À la mort de mon père, j’avais repris la gestion de Missy’s et je m’étais installé dans le petit appartement aménagé au-dessus du bar. L’endroit tenait plus de la garçonnière qu’autre chose, et il avait longtemps servi de débarras. Lorsque j’avais décidé d’y vivre, j’y avais fait faire quelques travaux d’aménagement comme la création d’une salle d’eau moderne et fonctionnelle, d’un coin-cuisine ainsi qu’un vaste nettoyage pour le débarrasser de décennies de poussière et de toiles d’araignée.

Pour autant, l’appartement était minuscule et se résumait à une pièce à vivre ainsi qu’une chambre à coucher. Le mobilier quaker était simple, pour ne pas dire rudimentaire, mais il me suffisait et j’y étais attaché, car il me venait de mes arrière-grands-parents du côté maternel. Aux murs quelques aquarelles un peu maladroites de paysages qu’avait dessinées Holly lorsqu’elle était adolescente, ainsi que des photos en noir et blanc de membres de ma famille. Seule concession à la modernité, un grand écran plat ainsi qu’une enceinte de bonne qualité, sur laquelle je pouvais brancher mon téléphone et écouter un peu de musique lorsque l’envie m’en prenait.

Missy’s se trouvant en plein milieu d’une clairière, j’étais entouré de verdure, et quelque part l’appartement donnait l’impression d’être une espèce de cabane suspendue. Il y avait surtout une très belle terrasse qui donnait sur la forêt et qui était invisible depuis le parking à l’avant de l’établissement. Le matin lorsque j’ouvrais mes volets, j’étais immergé dans la nature, et c’était une vision que j’aimais tout particulièrement, et qui me mettait de bonne humeur.

Après notre réconciliation, j’avais demandé à Phoebe si elle accepterait de passer la nuit avec moi, et elle n’avait pas hésité un seul instant. Elle avait acquiescé avec un grand sourire, comme si je venais de lui faire le plus beau cadeau du monde.

À l’issue du concert, elle avait patiemment attendu que nous rangions la salle, allant même jusqu’à donner un coup de main à Ali, et une fois que nous nous étions retrouvés dans l’escalier, elle m’avait laissé la prendre dans mes bras et la couvrir de baisers. Je ne me lassais pas de la toucher, comme si je n’y croyais pas vraiment. Mes mains s’étaient réapproprié toutes les courbes de son corps, et je m’étais étourdi de son parfum.

Avec une autre, je ne me serais pas embarrassé de préambules trop longs. Et j’aurais sans doute fini par défaire mon pantalon pour libérer cette érection qui me rendait dingue. Mais pas avec Phoebe. Avec elle, je souhaitais prendre mon temps et la redécouvrir après avoir cru l’avoir perdue. Qui sait, peut-être voulais-je l’affoler de mes caresses pour qu’elle finisse par prendre l’initiative, comme elle l’avait fait la première fois ?

Comme si elle avait deviné mes désirs, Phoebe s’est écartée et m’a pris par la main, un petit sourire aux lèvres.

– On sort, cow-boy ? Très envie que tu me fasses voir les étoiles…

Amusé, j’ai retenu son poignet que j’ai encerclé entre mes doigts et je l’ai rapprochée de moi.

– « Cow-boy » ?

– Humm, humm… Je te rends la monnaie de ta pièce. Après tout, tu m’as bien appelée « bébé » tout à l’heure.

– Et tu n’as pas aimé ?

– Je ne suis pas bien sûre. Je vais réfléchir à la question et je te ferai part de ma décision… demain matin.

Et d’autorité, elle m’a entraîné vers la terrasse où elle s’est immobilisée, levant la tête. C’était une nuit de pleine lune, et une myriade d’étoiles parsemait le ciel. La luminosité était particulièrement intense et le silence total. On avait vraiment l’impression d’être seuls au monde. J’avais toujours aimé cette sensation de faire un avec la nature. Ici, c’était mon royaume. Depuis l’enfance, j’aimais me réfugier sur cette terrasse, loin des autres. Là, je pouvais réfléchir et me recentrer. J’aimais le calme qui régnait une fois les clients repartis, un calme meublé par les seuls bruits de la forêt et de ma propre respiration. Jamais je n’aurais pu envisager de retourner vivre en ville. C’était juste inconcevable.

J’ai jeté un coup d’œil à Phoebe et j’ai vu qu’elle s’était accoudée à la balustrade de rondins. Comment une fille comme elle pourrait-elle comprendre ce que ce lieu représentait pour moi ? Phoebe était une vraie citadine. Une Parisienne… De mon côté, j’étais rarement sorti du Mississippi : quelques virées dans les États environnants, notamment à Memphis ou encore Nashville, pour rencontrer des fournisseurs ou bien assister à des concerts, beaucoup plus rarement Atlanta et Miami. Une seule fois, j’avais passé quelques jours à New York en compagnie de Zac. Et j’avais détesté cette ville. À New York, je n’étais pas à ma place. Tout en moi dénotait le provincial en goguette, et je l’avais compris à la façon dont les gens détaillaient mes vêtements ou au léger sourire qui étirait leurs lèvres lorsque je me mettais à parler. Mon accent du Sud était ma carte de visite et, pour la première fois de ma vie, j’avais eu honte de ce que j’étais.

J’étais un bouseux. Et depuis quelques jours, le bouseux n’arrêtait pas de penser à une fille venue d’une autre planète et qui repartirait dans moins de trois mois… Cherchez l’erreur !

J’ai poussé un soupir, avant de sortir mon paquet de clopes, machinalement.

– Tu m’en donnes une ? a-t-elle demandé en s’approchant de moi.

J’ai tendu le paquet, et elle s’est servie. Actionnant le vieux Zippo qui ne me quittait jamais, j’ai allumé nos cigarettes. Nous avons tous les deux profondément inspiré avant de relâcher la fumée. Puis j’ai vu Phoebe aspirer à nouveau et, quelques secondes plus tard, elle a formé une série de ronds de fumée absolument parfaits. Stupéfait, j’ai éclaté de rire. C’était tellement à l’encontre de son personnage !

– Où as-tu appris à faire ça ? ai-je fini par lui demander.

– C’est Konan qui nous avait montré à l’époque, à Alithia et à moi.

Évidemment… Konan et Phoebe s’étaient côtoyés pendant plusieurs années, et ils avaient dû partager pas mal de trucs. Visiblement d’efficaces techniques de close-combat, ainsi que je l’avais appris à mes dépens, mais aussi les ronds de fumée. Et puis quoi d’autre encore ?…

– Il t’en a appris des choses, dis-moi !

Même à moi, ma voix m’a paru acide et chargée de reproches. Phoebe a levé un sourcil étonné.

– Il y a d’autres trucs qu’il t’a montrés ? ai-je lourdement insisté.

Qu’est-ce qui m’arrivait ? Voilà que la jalousie reprenait le dessus et que je me comportais comme un ado. J’étais vraiment pathétique.

– J’aurais bien aimé, a-t-elle fini par dire. Mais à l’époque, je ne l’intéressais pas vraiment.

Elle a marqué un temps d’arrêt avant d’inspirer une nouvelle bouffée, d’arrondir les lèvres et de refaire une série de ronds de fumée. Puis elle a souri d’un air malicieux.

– Et aujourd’hui, c’est lui qui ne m’intéresse plus. Même s’il est… plutôt comestible, n’est-ce pas ? Mais je ne sais pas pourquoi, il ne m’inspire plus. Sans doute parce que je le considère comme mon grand frère ? Non… Aujourd’hui, c’est quelqu’un d’autre qui m’inspire.

Et, sans même prendre la peine d’observer ma réaction, elle est allée écraser son mégot dans le cendrier. Puis elle s’est tournée vers moi, écartant légèrement les bras comme pour désigner tout ce qui nous entourait.

– J’adore cet endroit, Jason ! C’est tellement beau, chez toi ! C’est paisible et… comment dire ? En même temps, je ne t’aurais pas imaginé dans un environnement différent. Ta maison est à ton image : étonnante.

Touché par ses paroles, j’ai senti un grand sourire étirer mes lèvres. J’étais heureux. Surpris mais heureux.

Du bout des doigts, elle a caressé le grand hamac qui occupait un coin de la terrasse. Et quelques secondes plus tard, elle y était confortablement installée. Du fait de sa petite taille, elle a complètement disparu au fond de la nacelle. Amusé, je me suis approché et je l’ai regardée. Elle semblait être aux anges.

– J’adore les hamacs ! s’est-elle écriée. Et celui-là est juste énorme !

– Tu sais que tu viens de me piquer ma place favorite, là ? ai-je indiqué d’un ton faussement sévère.

– Ah oui ? Ben, viens alors ! Il y a amplement de la place pour deux.

Je ne me le suis pas fait dire deux fois et j’ai enjambé le tissu pour venir m’installer à ses côtés. Elle a soulevé la tête pour que je passe un bras, puis s’est appuyée contre moi. Pendant quelques instants nous sommes restés comme cela, sans parler, bercés par le doux balancement.

J’étais bien. Son poids contre mon corps m’émouvait et me rassurait à la fois. Comme s’il était naturel qu’elle soit là, avec moi. Elle a regardé le ciel, puis a tendu l’index vers la lune.

– Tu sais que c’est moi ? a-t-elle demandé d’un air espiègle.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Mon prénom, Phoebe… Ça vient du grec et c’est le surnom d’Artémis, quand elle devient la déesse de la lune. Sans vouloir me lancer des fleurs, il signifie « brillante, intelligente ». J’aime bien mon prénom, a-t-elle ajouté avant de pousser un petit soupir satisfait que j’ai trouvé plutôt comique.

– Tu peux. C’est un très joli prénom, et il te va à merveille. Donc, la lune…

– Humm… Et toi aussi, d’ailleurs, tu portes un nom grec. Tu le savais ?

– Oui, je le savais. Le héros qui a rapporté la Toison d’or. Si je me souviens bien, ça n’est pas un personnage très sympathique d’ailleurs.

– C’est vrai. Il n’a pas été très cool avec sa femme Médée, qui l’avait pourtant bien aidé.

– Et elle a fini par zigouiller tous leurs enfants pour se venger. Merci de me rappeler cet épisode !

– Non, mais ne t’inquiète pas : en réalité, ton prénom vient d’un personnage chrétien qui aurait aidé saint Paul. En grec, Jason signifie « Dieu sauve ». Tu vois, tu es quelqu’un de bien, quelqu’un sur qui on peut compter.

Surpris par ce qu’elle venait de dire, je l’ai dévisagée un instant, et elle m’a souri gentiment.

– C’est bien ce que tu as fait pour ma copine Alithia, non ? Quand elle ne savait plus vers qui se tourner. Ainsi que pour Konan, quand il est rentré de France. Et pour Cheyenne ce soir. Alors tu vois, tu portes bien ton nom.

– Je les ai peut-être aidés, mais ils me l’ont bien rendu, chacun à sa manière. Et sans Alithia, je ne suis pas certain que Missy’s serait devenu ce que c’est aujourd’hui. Elle s’est donnée à fond, et cette réussite, elle lui revient en grande partie.

– Vous en avez fait un endroit fabuleux, vraiment, et je vous admire d’avoir créé un point de ralliement si important aux yeux de tant de gens.

– C’est vrai que Missy’s a été notre bouée de sauvetage, à tous les deux…

Elle a froncé les sourcils d’un air surpris, et je me suis empressé de reprendre la parole. Je n’avais pas envie de parler de Holly. Pas maintenant. Ce soir, je voulais juste profiter de Phoebe, de sa joie de vivre si communicative et du bonheur de l’avoir retrouvée.

– Assez parlé de Missy’s. Je pense que nous avons mieux à faire, tu ne crois pas ?

Ma façon de hausser les sourcils l’a fait exploser de rire. Qu’est-ce que j’aimais la voir rigoler comme ça ! Une partie de son charme provenait justement de là, du côté si expressif de son visage et de la façon dont ses traits s’éclairaient dès que quelque chose l’amusait.

– Tu sais ce qui serait le comble du romantisme, là, juste avant que tu me sautes ? a-t-elle lancé après avoir retrouvé son calme.

Interloqué, je lui ai jeté un regard un peu inquiet. Phoebe avait parfois un sens de l’humour plutôt cash qui ne manquait jamais de me déstabiliser. Pendant quelques instants, elle m’a dévisagé avec attention avant de pousser un petit soupir.

– Bordel, tu as quand même des yeux d’une couleur incroyable. C’est dingue, ça ! Regarde-moi encore, pour voir, m’a-t-elle enjoint en me prenant par le menton pour mieux m’observer. Impressionnant ! Je suis vraiment sous le charme.

Une fois de plus, j’ai été conquis par son aplomb. Jamais aucune fille ne m’avait parlé ainsi, comme si j’étais une marionnette entre ses mains. D’habitude, mes conquêtes optaient pour des poses et des regards qui se voulaient sensuels mais que je trouvais plutôt ridicules. Alors que là, avec Phoebe, c’était tout le contraire. Elle me charmait par ses gestes, la pression de ses jambes contre les miennes, la caresse de son souffle sur mon visage, ses éclats de rire. Et elle m’allumait de manière bien plus puissante que si elle avait adopté une posture ouvertement sexuelle. Au fond de mon froc, mon érection n’en finissait pas de se rappeler à mon bon souvenir…

– Bon. Séduis-moi, cow-boy ! a-t-elle commandé d’une voix sans appel.

À nouveau stupéfait, j’ai froncé les sourcils sans répondre. C’était vraiment comme ça que les Européennes draguaient les mecs ? Et qu’est-ce que c’était que cette manie de m’appeler « cow-boy » à tout bout de champ ? Je m’apprêtais à la remettre à sa place quand elle m’a pris de court.

– Par exemple, le coup de la leçon d’astronomie… C’est imparable avec les filles, ça ! Alors vas-y : parle-moi de la Grande Ourse.

J’ai à nouveau explosé de rire. Depuis que je connaissais Phoebe, j’avais en effet l’impression de ne plus rien contrôler, et c’était un sentiment déstabilisant. Déstabilisant mais exaltant aussi, et j’adorais cela.

– D’accord, la Grande Ourse… Tu vois ce point qui brille, là ? C’est l’étoile Polaire. Elle indique le nord et elle fait partie de la Petite Ourse. Et sur la droite, l’espèce de casserole avec un long manche, c’est la Grande Ourse.

– Comme chez nous ! a-t-elle dit en hochant la tête. En fait, on voit tout pareil ?

– Pas tout à fait. Par exemple, nous on voit la constellation du Capricorne à l’extrême est, alors que depuis chez vous ça ne doit pas être possible.

– OK… Le Capricorne. Et le Sagittaire, est-ce qu’on le voit ?

– Pourquoi ?

– Parce que c’est mon signe astral.

– Ah, je comprends ! Oui, on le voit. Attends, je te montre.

Et du doigt, je lui ai indiqué le groupe d’étoiles qui l’intéressait. Elle a opiné en silence, d’un air concentré.

– Et toi ? De quel signe es-tu ?

– Moi ? Scorpion.

– Et on la voit, la constellation du Scorpion ?

– Oui, bien sûr. Juste à droite de celle du Sagittaire, tu vois ?

– Et en France, on peut la voir aussi ?

– Oui. On la voit.

– C’est génial ! Ça veut dire qu’on est dans la même carte du ciel alors, et en plus qu’on est juste à côté l’un de l’autre, a-t-elle murmuré en tournant le visage vers moi.

Je l’ai regardée sans répondre, comprenant parfaitement le sens de sa remarque. Mais je ne voyais pas très bien comment réagir. La dernière fois, elle avait parlé de notre relation comme d’une amourette de vacances. Alors pourquoi ce sous-entendu ? Et surtout pourquoi maintenant ?

– On peut voir les choses comme ça, ai-je fini par admettre.

Elle m’a scruté avec attention, l’air un peu déçue que je ne la suive pas sur ce terrain, et j’ai soutenu son regard sans bouger. Et alors là, elle a fait un truc qui m’a pris de court. Elle a glissé la main sous mon T-shirt et elle a lentement relevé le tissu avant de se pencher vers mon torse et de se mettre à m’embrasser. M’embrasser, me lécher longuement et me mordiller, traçant un lent chemin de plaisir sur ma peau ainsi mise à nu. J’ai tressailli et fermé les yeux, tout à mon excitation. Phoebe m’offrait un moment de pure sensualité, de désir cru et affiché, et j’aimais ça. J’aimais la voir perdre les pédales et se précipiter sur moi. Et surtout, j’aimais qu’elle le fasse sans même me demander mon avis, se servant comme si ça lui était dû, presque comme si je n’avais pas mon mot à dire. D’habitude, c’est moi qui imposais les jeux, le rythme, le scénario. Mais avec Phoebe, c’était différent. C’était la première fois que j’acceptais de laisser les rênes à une femme et, avec elle, ça semblait naturel, évident. J’étais curieux de voir où elle m’emmènerait, vers quels fantasmes, et je m’émerveillais de la distance qui existait entre l’image lisse qu’elle offrait au monde et la fille passionnée qu’elle était en réalité.

Lorsque ses doigts se sont attaqués d’autorité à ma braguette, j’ai souri d’un air heureux. Ce soir, Phoebe ne s’embarrasserait pas de préliminaires inutiles : sur la carte de mon ciel intime, elle avait choisi sans hésiter de faire cap au sud…

(Tous droits réservés à Iris Hellen)

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